Le raffinement et la très subtile sensibilité émanant de la démarche de cet artiste, qui travaille volontiers avec des papiers indiens d’une grande délicatesse, m’avaient incité à concevoir une partition pour clavicorde. Le caractère à la fois fragile et intimiste des sons que produit cet instrument rare me paraissait pouvoir parfaitement s’accorder avec les tonalités visuelles en demi-teintes explorées par Espilit. C’est dans cet état d’esprit que j’ai composé une courte pièce, créée au C.A.P.C. de Bordeaux et enregistrée par Anaïs Zabala. J’ai donné les trois pages de partition à Espilit, qui a joué, comme par transparence, sur des effets de brouillage, voire d’effacement partiel, par rapport aux notations qui y étaient inscrites, avec une prédominance d’interventions et traces en bleu, les accidents dans le papier utilisé, particulièrement mince, produisant l’aspect de quelque vieux manuscrit retrouvé. Si l’on souhaite découvrir la musique, c’est seulement à travers l’enregistrement que l’on peut le faire, la partition étant devenue à la limite de l’illisibilité. Pour ce livre inséré dans un coffrage en bois, Espilit avait choisi un format rectangulaire, très allongé, se rapprochant des proportions d’un clavicorde. Chacun des vingt exemplaires du tirage, qui comprend trois papiers originaux divisés en six bandes horizontales, est différent. En réaction à ce livre, qui est aussi un objet, en raison du pliage très particulier auquel le lecteur est convié, Jean-Clarence Lambert, à qui je dois cette précieuse rencontre avec l’œuvre d’Espilit, a écrit trois courts poèmes imprimés en bleu, et qui font écho au projet d’origine : « Tant que tu ne seras pas convaincu que l’oreille voit de même que l’œil écoute, tu resteras pauvre d’esprit, de corps, de cœur » ; « Écouter les couleurs, regarder les sons – vous le proposez à ces passants d’un Réel négligé que nous sommes » ; « Ainsi le ru du silence retrouvera-t-il son amont ».
Le livre est accompagné d’un CD où figure une version de l’oeuvre par Anaïs Zabala.