C’est dans le sens d’un tirage de trente exemplaires tous différents que nous nous sommes dirigés, Jacques Clauzel et moi, pour Trois hirondelles ont inventé l’espace (éditions Rencontres), avec la collaboration poétique de Maurice Benhamou. Clauzel a prévu neuf planches originales par exemplaire. En fait, il a découpé une peinture initiale en neuf parties de format égal. Chacune est divisée en 5 x 5 modules de 6,6 cm de haut sur 4,7 cm de large, ce qui correspond approximativement au rapport de proportion de la feuille elle-même. La plupart de ces cases ou modules, déterminés par un pliage qui apporte du relief au papier, sont entiers, mais ceux du haut apparaissent généralement comme complétés par ceux du bas. Par ailleurs, le plus souvent à gauche ou à droite de chaque feuille viennent s’inscrire des rangées verticales de modules incomplets, dont la surface est nettement inférieure à la moitié d’un module, en fonction du découpage de la peinture d’origine.
L’idée était que je proposerais moi-même neuf pages musicales pour chacun. L’ensemble du tirage totalisant 270 pages, j’ai décidé de faire imprimer une partie des partitions et d’y ajouter des interventions manuscrites. La difficulté, difficilement surmontable pour moi, était de respecter le projet d’exemplaires uniques, en écrivant donc autant de partitions différentes, mais en basant le tout sur des principes susceptibles de créer une unité, comme en témoignent avec bonheur les planches de Clauzel. Face à un travail aussi rigoureux, quasi sériel, mais qui laisse aussi la place à l’accidentel, j’ai pris le parti de faire dériver toutes mes partitions des quatre accords de quatre hauteurs de son permettant d’obtenir tous les intervalles harmoniques, de la seconde mineure à la septième majeure, et de disposer chacune de mes interventions à l’intérieur de l’espace occupé par un ou plusieurs modules. J’ai ainsi composé un premier diptyque (deux partitions de neuf pages comprenant 45 séquences chacune) pour un petit groupe instrumental (piano, accordéon, flûte basse, alto, guitare, percussion dont un marimba). De même que les diverses planches de Clauzel donnent lieu à des transformations plus ou moins insensibles et/ou progressives, j’ai fait subir à mes accords de base des transpositions qui en révèlent des aspects toujours changeants, comme miroitants. Puis, à partir du même matériau, j’ai élaboré des soli pour flûte basse, alto, guitare, piano et harpe, ainsi qu’une succession de schémas harmonico-mélodiques, présentée sous forme de réseaux, et adaptables à divers instruments, qui seront distribués dans les différents exemplaires. Ils sont écrits sur trois pages ; certains comprennent 25 séquences, chacune s’inscrivant dans un espace horizontal de trois modules. D’autres soli, pour harpe et pour piano, sont constitués, respectivement, de 75 et de 45 séquences (une par module). Cela a donné, globalement, 9 partitions : deux pour groupe instrumental, deux pour piano dérivées de celles-ci, et 5 soli. J’ai aussi imaginé que certains pourraient être joués simultanément. Après avoir eu connaissance des 27 poèmes de Maurice Benhamou, j’ai décidé d’ajouter une partition vocale qui prendrait en compte la globalité du texte (Chaque exemplaire, dans lequel figure l’ensemble des poèmes comprendra également une page de poème destinée à la voix chantée). À mesure que les partitions seront jouées et enregistrées (plusieurs l’ont déjà été), un CD viendra témoigner de l’évolution de cet ambitieux « work in progress ».