Processus de jeu proposé au collectif Change (Jean-Pierre Faye, Paul Louis Rossi, Mitsou Ronat, Philippe Boyer, Didier Pemerle, Jean-Claude Montel, Christian Rosset, Saul Yurkievitch, Catherine et Jean-Pierre Marchadour) pour une émission de l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture, 1977.
A l’origine de ce projet, il s’agissait pour nous d’élaborer des processus de communication capables de transgresser les divisions entre disciplines artistiques et de tendre vers un autre type de concrétisation pour notre collaboration que celui, figé, d’un livre.
Il nous a semblé que le phénomène de la carte postale pouvait, de par sa mobilité et l’hétérogénéité de ce à quoi elle renvoie, favorisait de nouvelles chances de travail collectif en laissant entrevoir de multiples possibilités de réalisation; les aspects graphiques, poétiques et les suggestions sonores n’ont pas cessé d’interférer tout au long de nos envois, rendant nécessaire un autre médiateur que celui de l’écrit, par exemple une réalisation radiophonique qui permettrait de rendre compte de la polyphonie des rencontres.
Par la suite, toutefois, bien d’autres modes de transmission de notre projet pourraient être élaborés de telle sorte que l’aspect visualisé du travail à partir et sur les cartes ne soit pas mis à l’écart.
Le projet consistait en un envoi de cartes postales (présentant généralement des vues et scènes d’extérieur) pendant un laps de temps préétabli; ces cartes postales devaient suggérer des phénomènes sonores, évoquer quelque aspect d’un paysage musical dont serait plus tard tentée une interprétation radiophonique; chacune pouvait être envoyée sans texte ou susciter une manière de commentaire de la part de celui (ou de ceux, car chaque carte pouvait être successivement envoyée à plusieurs partenaires du jeu) qui la recevai(en)t. Des zones de ces cartes pouvaient être entourées, signalées, afin d’insister sur certaines propriétés acoustiques à mettre en relief et orienter ainsi la réalisation sonore ultérieure effectuées à partir d’elles avec les moyens radiophoniques. Chaque carte pouvait être envoyée sans texte ou verbalement complétée, appelant un prolongement de la part de celui qui la recevait; ce commentaire pouvait être insinué en marge du texte joint à la carte, mais tout aussi bien se présenter sous la forme d’un nouvel envoi de cartes postales, avec ou sans texte; une même carte pouvait ainsi alternativement circuler d’un participant à un autre, plusieurs fois. L’ordre et le nombre de cartes devaient être respectés pour le montage ultérieur des différentes séquences verbales et musicales. Parallèlement à l’envoi de ces cartes, pouvaient intervenir des « enquêtes » (sous forme de plans, catalogues, photos…) à partir de ce qui était représenté sur une carte. Les rapports entre dates (heures de réception) et envoi de cartes ont été utilisés pour définir les durées des différentes séquences et leurs chevauchements, juxtapositions, superpositions éventuelles.
Les moments poétiques et musicaux sont devenus comme autant d’instantanés, flashes pris dans un brassage d’informations, susceptibles de témoigner de la discontinuité des messages délivrés par les médias d’aujourd’hui. En effet, la circulation des cartes dans le temps devait être tout particulièrement prise en considération. Tout élément capable d’intervenir dans le message de la carte (lieu d’envoi, détail postal, tel le choix d’un timbre, d’une vitesse d’exécution, d’un mode d’écriture (à la machine, à la main, collage de fragments imprimés…) devait être susceptible d’influer sur la réalisation sonore future. Le choix d’un destinataire (voire de n’importe quel destinataire, en écrivant au collectif Change…) était bien évidemment déterminant.
Chaque carte est en définitive devenue une sorte de partition contenant des informations verbales, graphiques et/ou musicales qui a été déchiffrée pour engendrer une miniature sonore où se mélangeaient des éléments de prise de son plus ou moins réalistes, fragments de séquences instrumentales et de lectures de textes, par leurs auteurs. L’ordre de présentation des miniatures ainsi élaborées a été déterminé en fonction de la dernière date d’expédition de chaque carte postale.
Ce projet constituait un processus destiné à engendrer de lui-même une partition variable à facettes multiples.