Louis Aragon

à propos de Six poètes et une musique de maintenant au Théâtre Récamier, dans L’Humanité, le 14 décembre 1965 :

« …D’où la musique de Jean-Yves Bosseur, qui est tout le contraire de la romance, du mariage des mots et des instruments.
Je veux dire, puisqu’il s’agit de situer les poèmes dans l’univers où ils sont nés, que tout se passe ici comme dans la rue, ou sur une falaise au bord de la mer ou un champ d’ aviation. Les sons ne sont pas accompagnement des paroles. Ils s’introduisent entre eux, avec la désinvolture d’un camion qui passe dans la rue, sans s’occuper d’ une conversation entre des amoureux ou des gens d’ affaires. D’un avion soudain dont l’approche fait lever la tête. D’une école qui se vide comme d’une volée de pigeons. Le violon, le piano, le piano préparé, la batterie, vieux et nouveaux moyens de bruire, de prouver que l’homme n’est pas seul au monde, interviennent ainsi comme les portes battent, une horloge sonne, un enfant crie. L’accord, s’il se fait, c’est sans qu’on l’ait vécu, comme dans la vie. J’ai assisté aux répétitions : d’abord les acteurs se sentaient comme souffletés par ces sonorités qui n’avait pas égard de leurs voix, ils protestaient, puis on les poussait à poursuivre la lecture, et ils s’habituaient au bruit, peu à peu, comme à un chat, au ronronnement d’un chat. A la fin, ils étaient séduits. Ils jouaient le jeu. Ils sautaient à la marelle des musiques. »