Photophonies d’Ardèche

(la plume) (89/90)
ensembles vocaux et instrumentaux
Théâtre de Privas, mai 1990

À l’origine, le projet que je souhaitais mener à bien en Ardèche consistait à péparer avec des enseignants d’écoles maternelles et primaires, tout au long d’un semestre, des processus de jeux musicaux, vocaux et instrumentaux, destinés à la fois à les sensibiliser aux langages musicaux de notre temps et à développer une pratique de groupe où chaque participant devait pouvoir donner libre cours à son sens de l’initiative et de l’invention. Lors d’une première rencontre, en janvier, j’ai exposé un premier ensemble de propositions musicales susceptibles de se transformer au fil du travail collectif, en partie basées sur des sonorités de noms de lieu, prénoms, expressions propres au parler ardéchois, comptines…Simultanément à cet éveil à la pratique vocale a été engagée une recherche sur la prise de son, visant à collecter des enregistrements de lieux acoustiques aussi diversifiés que possible, témoignant aussi bien de réalités naturelles que d’activités agricoles, artisanales, industrielles en Ardèche. Nous devions ainsi obtenir un ensemble de « miniatures » sonores, qu’il s’agirait d’organiser en vue d’une représentation publique. Le but d’une telle opération n’était toutefois pas tant d’aboutir à un quelconque produit fini que de déclencher, à la fois chez les enseignants et chez les enfants, le désir de concevoir et d’assumer, en grande partie par leurs propres moyens, des activités de création qui ne soient pas imitées de modèles préétablis, mais demeurent fondamentalement ouvertes.
La représentation publique a eu lieu le 15 mai 1990, au théâtre de Privas, sous le titre Photophonies d’Ardèche.
Au moment de la conception du disque qui devait témoigner des différentes interventions organisées à Privas et à Lyon, j’ai imaginé que le peintre Pierre Alechinsky pourrait concevoir un contrepoint plastique. Nous avons par ailleurs pensé qu’il serait intéressant d’intégrer aux enregistrements déjà réalisés avec les groupes d’enfants des séquences avec des musiciens amateurs. L’idée de travailler avec une fanfare ou un orchestre d’harmonie est en partie venue de la tradition encore très vivante de tels ensembles en Ardèche, en particulier depuis le début du siècle. Et il m’a semblé que cet apport pourrait justement susciter une collaboration avec un artiste plasticien, ce qui ajouterait une dimension nouvelle au projet. Souhaitant que cet élément ne soit pas extérieur au propos ardéchois, nous avons cherché, comme base du travail musical futur, un matériau lié au répertoire des fanfares de l’Ardèche. Un des responsables de l’opération m’a alors soumis un petit recueil contenant un ensemble de mélodies pour la trompette, qui m’a paru parfaitement témoigner d’un tel répertoire. Je l’ai à mon tour remis à P. Alechinsky, vivement intéressé par les processus de détournement, de palimpseste, qu’il pourrait développer à partir du document initial. Dans un premier temps, il a fait tirer des clichés des différentes pages du recueil, en a réuni un ensemble à l’intérieur d’une feuille de format raisin. Ensuite, il a effectué, sur des transparents, des essais de recouvrement partiel, « caviardage », enluminures…destinés à être superposés aux pages de partition. Il m’a laissé plusieurs espaces avec des portées musicales vierges, où je devrais intervenir en réponse au matériau musical d’origine, métamorphosé par lui. C’est donc une série d’échanges qui s’est ainsi opérée entre nous. Il m’a par la suite livré un premier état de la lithographie. J’ai alors entrepris un déchiffrage de l’ensemble, me servant de ses ajouts et « commentaires » graphiques, de ses effets de masque, comme de « clefs » pour transformer le matériau originel. J’ai reporté ensuite plusieurs de ces variations dans les espaces laissés vides. J’ai obtenu de la sorte une suite de séquences destinées à un orchestre d’harmonie, qui a été enregistré en mai 1993 par l’ensemble instrumental de l’Ecole de Musique de Noisiel, dirigé par Leonardo Gasparini.
Ces séquences s’inscrivent généralement entre celles réalisées par les groupes d’enfants, comme s’il s’agissait tantôt d’une fanfare de village, tantôt de musiciens qui viennent troubler ou voiler les aspects réalistes qui s’imposent deci delà.
La quatrième et dernière étape du projet a consisté en un mixage de tous ces éléments, en juillet et août 1993 au studio de Jean-Claude Millet, à Chauzon. Il ne me semblait guère intéressant de tenter de reconstituer la représentation de Privas. J’ai préféré reprendre tous ces enregistrements comme s’il s’agissait des pièces d’un puzzle et voir comment ces phénomènes apparemment disparates pourraient « rimer » acoutiquement les uns avec les autres jusqu’à susciter parfois des effets de trompe-l’oreille. Les sons préexistants enregistrés viennent colorer les sonorités produites par les enfants ou dialoguer, voire entrer en tension avec elles; à d’autres moments, on pourra avoir l’impression inverse. Par rapport au projet initial, l’intention est toutefois demeurée la même: proposer une promenade en zigzag à travers des paysages de sons vocaux, instrumentaux et de bruits reliés, d’une manière ou d’une autre, à l’Ardèche. Ces miniatures, instantanés sonores qui se suivent, ou mieux, s’entremêlent et s’entrechoquent n’ont pas été agencés ainsi pour raconter une histoire, mais plutôt pour suggérer une multiplicités d’histoires possibles, aussi diverses et fragmentées que peut l’être l’environnement sonore de l’Ardèche; et créer de la sorte un libre contrepoint d’époques, d’âges et d’activités
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