Jean-Pierre Faye, à propos de Le temps de le prendre

France-Culture, 1976 :

« Dans Le temps de le prendre de J-Y Bosseur, on se trouve, comme dans l’oeuvre graphique de Gérard Titus-Carmel, dans un univers que l’on peut qualifier de « transformatiste ». Il y a là un moyen de prendre les transformations par tous les sens, en tout sens. En outre, dans le travail de modulation, « détérioration » qu’a opéré J-Y Bosseur à partir de mélodies celtiques archaïsantes pour la musique du cycle de Cuchulain de Yeats, se décèle comme un point d’appui sur quelque chose de plus ancien pour faire un bond en avant, processus que Thomas Mann avait si fortement mis en relief dans son Faustus. Quand J-Y Bosseur s’appuie sur des formes musicales pré-existantes, par exemple empruntées aux traditions celtiques, il explore un champ dont une partie a été enfouie hors de la mémoire et grâce auquel il pourra recouvrir de son investigation une sorte de continuum tout à fait nouveau. Dans ce cas, les frontières musicales délimimtées par les intervalles compositionnels deviennent transgressables de tout côté. Sa démarche est en effet de forer dans des nappes anciennes pour en retirer une sorte de musculature nouvelle qui permet de constater que la musicalité est faite de choix arbitraires sur un fond infini et que, à partir de là, il est possible de mettre en cause non seulement l’harmonie de Rameau, mais aussi les constructions sérielles de l’Ecole de Vienne, phénomènes qui ont encore la puissance du dénombrable. J-Y Bosseur s’avance maintenant vers une sorte d’autre degré de puissance des ensembles musicaux en se donnant presque la puissance du continu puisque, à partir de modes de transmission tels que notations graphiques et verbales, les systèmes du passé avec leurs échelles et leurs gammes, deviennent implicitement transgressables. Cette puissance du continu ouvre un champ de transformation véritablement illimité sans oublier, bien entendu, qu’aucun acte musical ne peut se concevoir indépendamment de limites que l’on s’accorde provisoirement tout en se réservant le pouvoir de changer ces limites à tout moment, déplacer les frontières, rompre le jeu et se donner d’autres règles; car, sans ce jeu variable de règles, nuls langage ni énonciations ne seraient vraiment envisageables. Toutefois, au contact de ces nouveaux types de partition, la liberté dans le choix des contraintes d’invention ne cesse de s’étendre, s’élargir en tout sens; on atteint là les confins de cette expérience d’un « transformatisme » musical dont il est difficile de savoir quels seront les enjeux définitifs, mais dont il est possible de percevoir les premières avancées sous les yeux et à l’écoute. »