Jean-Paul Sartre dans un entretien avec Michel Sicard

Sartre et les Arts, revue Obliques n°24-25, 1981, p. 253 :

– M.S. Cercles pour Yeats de J-Y Bosseur est une pièce pour voix destinée à la radio: au moment de l’enregistrement, la cantatrice réagit elle-même à sa propre voix, avec des lignes mélodiques qui dessinent une polyphonie pour voix démultipliée. La chanteuse enregistre une première ligne, ensuite la deuxième par rapport à la première, puis la troisième par rapport aux deux autres, de façon que les voix s’entremêlent, se croisent.

J.P.S. C’est très intéressant. Je comprends là ce que vous dites de la beauté à l’heure actuelle. J’avais entendu des tentatives en ce sens : mais ici, c’est parfaitement réalisé.

M.S. Jean-Yves Bosseur travaille de façon continue avec un groupe de musiciens; cette permanence dans le travail fait que ce sont souvent des musiques conçues pour un interprète, pour que la personnalité du musicien s’affirme.

J.P.S. Ça se sent très bien ici, d’ailleurs : la chanteuse a une personnalité totalement exprimée dans ce triple cercle. Ces deux ou trois expressions d’une personnalité entière, c’est ce qui est bien – ou beau.

M.S. Cette pièce approfondit la relation aux mots, ce qui va dans le sens, outre d’une collaboration avec les interprètes, d’une relation avec les auteurs. C’est ce qui apparaît davantage encore dans tout le travail entrepris avec Michel Butor. Don Juan dans l’orchestre approfondit, sur le thème général de la séduction littéraire, les possibilités multiples de séduction instrumentale. Voici une séquence purement instrumentale et vocale; les strophes de Michel Butor viennent seulement ponctuer la musique.

J.P.S. C’est intéressant; je trouve ici ce que j’ai rarement dans les compositions que vous m’avez fait entendre – sauf chez Ellington, bien sûr!- la reprise d’un élément mélodique; on sent ici le développement d’une sorte de mélodie, avant la voix. C’est mélodique, et çà ne l’est pas: c’est mélodique en ce sens qu’il y a une courbe, une harmonie, surtout un développement; mais çà n’a pas la beauté trop fermée de la mélodie classique: on ne peut pas, en l’écoutant, retrouver une règle, mais on trouve quelque chose qui équivaut à çà et qui m’intéresse comme recherche. »