Michel Thion sur le CD Mémoires d’oubli

Satie’s Dream, Portrait de Geneviève Asse, Empreintes nocturnes, Stream (Mandala/MFA/Harmonia Mundi), dans Le Monde de la Musique, juin 1993 :

« J-Y Bosseur est de ces compositeurs dont le rapport à la recherche poétique est intime, presque obligatoire, on dirait volontiers convulsif si sa musique n’était aussi calme et profonde. On retrouve dans son itinéraire des écrivains aussi marquants que Michel Butor, Edmond Jabès, Kenneth White ou Vassilis Alexakis. Ce disque, qui regroupe des oeuvres récentes avec deux pièces de 1981, en permet un parcours tout à fait intéressant. C’est ici avec Bernard Noël, questionneur acharné de notre langue, que s’ouvrent ces Mémoires d’oubli. Avec un orchestre philharmonique au mieux de sa forme, ce qui n’est pas toujours le cas quand il joue de la musique contemporaine, la chanteuse Helen Merrill et Bernard Noël lui-même font vivre un texte qui va de simples phonèmes à un beau poème sur le thème du visage. Une musique instrumentale inspirée par instants de l’électroaoustique, à d’autres moments de fragments sériels, de lambeaux de citations, crée une étrange tension à laquelle s’ajoutent les traitements du système Syter et le swing d’Helen Merrill. La musique de Bosseur est à proprement parler un poème en soi, en ce qu’elle vaut par les non-dits plus que par les sons réels; c’est un déchirement long et nostalgique. Stream pour accordéon joue à sa façon du même registre émotif. L’instrument s’y prête par sa référence constante à une musique populaire, mais la subtilité des dysharmonies, l’utilisation de sons longuement tenus donnent, avec un net refus de la virtuositéé gratuite, une pièce touchante et belle. Le Portrait de Geneviève Asse, hommage à la plasticienne, s’éloigne de la narrativité toute de légèreté des pièces précédentes pour un contrepoint abstrait et épuré entre le clavecin, la harpe et le violoncelle. Et puis, de nouveau, Bosseur nous emmène dans une de ces archéologies imaginaires dont il a le secret avec Empreintes nocturnes pour piano. Ecrite lors d’un étonnant échange avec le peintre Gaston Planet, cette pièce explore des réminiscences estompées, comme en écho lointain, des musiques de Satie. On retrouve enfin l’univers d’Erik Satie, ou du moins une vision très revisitée, dans Satie’s Dream, pièce issue d’un échange avec le poète Kenneth White, spécialiste du haïku. La voix d’Evelyne Razimovsky parcourt ainsi avec une doucur obstinée le poème minimaliste de White, et les instruments (ici l’Ensemble Intervalles, remarquable) donnent des répons, comme un choeur antique réduit à quelques voix. »