Matériel pour un Don Juan

avec Pierre Alechinsky et Michel Butor, Ed. la Louve de l’hiver, 1977

L’intérêt que je porte aux modes de notation qui ne nécessitent pas un apprentissage par trop spécialisé ni un certain niveau de virtuosité instrumentale a incité M. Butor à me demander de concevoir une partition verbale pour un ouvrage qui réunirait les matrices des différents jeux de strophes; cette partition s’accompagnerait d’une cassette qui comprendrait plusieurs réalisations du processus par un groupe de musiciens amateurs; l’expérience fut menée à partir du Conservatoire de musique de Pantin par un groupe de 7 personnes; une dizaine de séances de travail fut consacrée à ce jeu poético-musical.
Les seuls éléments de partition conservés dans ce cas sont les unités poétiques des strophes; le projet rejoint alors cette fois pleinement ma première idée de rapport au texte poétique. Et il m’intéressait tout spécialement que cette phase, pour laquelle le mode de communication musicale se sert du même outil que le jeu poétique, le langage, couple cette partition, épurée de tout code exclusivement musical, avec la matrice elle-même des strophes et non plus seulement une réalisation particulière.
Les strophes de Don Juan dans l’orchestre constituent l’origine du jeu musical; celui-ci se pratique en groupe (de voix, d’instruments de toutes sortes, qui se conjuguent au gré de l’action).
La partition, qui doit servir de catalyseur aux relations entre partenaires, se construit tout entière à partir des unités verbales et produit ainsi une série de « strophes » musicales composées chacune d’un ensemble d’événements sonores déduits des incitations poétiques.
Ce qu’impliquent les éléments poétiques pour l’action musicale dépend de l’imagination de chacun et résulte conjointement des échanges vécus par le groupe à cette occasion; si certains mots seront ressentis comme des propositions d’intervention sonore relativement claires, parce que renvoyant à la terminologie musicale usuelle, d’autres se révéleront manifestement plus ambigus, suscitant de multiples voies d’accès pour le jeu (d’ailleurs, faute de détecter l’implication musicale d’un élément poétique, le mieux serait, pour l’un ou l’autre participant, de s’abstenir momentanément de jouer et intervenir à l’occasion d’un élément suivant).
Dans tous les cas, chaque unité poétique choisie devra tendre à provoquer la formation d’un mini-organisme sonore à inscrire en fonction des suggestions poétiques qui l’environnent, toujours à l’écoute du jeu d’autrui.