Portrait de Jiri Kolar (80/83)

piano (9′)
Patrick Dechorgnat, Maison de la Poésie, Paris, septembre 1985

Jiri Kolar désoriente les aspects fonctionnels des écritures et des codes qu’il incorpore dans ses collages; des bribes de partition interviennent fréquemment dans ses compositions, en particulier dans ses « froissages » et, plus encore, dans ses « chiasmages », selon une méthode qui consiste à placer côte à côte de petits morceaux de papier déchirés. À leur propos, J. Kolar évoque volontiers le spectre de la polyphonie, cette pratique lui ayant appris à regarder et à observer l’univers sous mille et un angles. Dans ses collages de notations et écritures qui se juxtaposent, on pressent en effet une musique potentielle, sorte de rumeur vocale qui pourrait bien s’amplifier en un gigantesque chœur. Dans les collages qu’il a réalisés à partir du Portrait de Mademoiselle Rivière de Ingres, J. Kolar a choisi d’inscrire, à la manière d’un écho musical, des fragments de partitions des premières symphonies de Haydn (réduites pour piano). Pour un projet de livre qui ne s’est malheureusement pas concrétisé, je me suis servi de plusieurs de ses collages pour en déduire plusieurs partitions mais plus importante encore a été, pour moi, l’influence de ses méthodes proprement dites de collage, dont j’ai tenté des applications aussi rigoureuses que possible dans le Portrait de Jiri Kolar pour piano, à travers un jeu de citations de Beethoven, Schubert, Brahms, Satie, Webern, Weill.. Ses techniques m’ont en effet évoqué le système des tropes dans le chant grégorien et m’ont notamment appris à observer les relations qui peuvent se propager d’un fragment de partition à un autre, selon les points de vue les plus diversifiés, frôlant parfois l’absurde, en tout cas tout autrement que selon des critères de nature musicologique, plutôt en tant que sommes d’inscriptions graphiques à déconnecter, éloigner de leur cadre d’origine, comme si je devais finir par accorder ces bouts de partitions à d’autres tempéraments, modèles temporels, à une autre conception du jeu musical. Certes, le contact avec une oeuvre de référence, que me soumet de façon non délibérée J. Kolar à travers ses collages, me dépayse, mais je la dépayse en retour à partir des pistes qu’il me suggère. J. Kolar s’est lui-même servi d’une des pages de mon manuscrit de son Portrait pour réaliser un froissage que j’ai bien l’intention de décrypter un jour prochain afin d’en déduire une extension de la pièce.