Portrait d’Albert Ayme (80/81)

poèmes de Michel Butor
soprano, piano, alto, clarinette, trombone, accordéon (18′)
Intervalles, IRCAM, Forum de la création, Paris, novembre 1981

À l’occasion de chaque dialogue avec un peintre, j’ai toujours tenu à ce que soit reposés les termes d’une stratégie susceptible d’aboutir à un projet commun, car il me semble bien que confronter deux modes de pensée aussi spécifiques doit demeurer un défi, témoigner d’un mouvement de tension qui écarte d’emblée les évidences trompeuses.
Par exemple, avec Albert Ayme, le propos était au départ une réflexion sur des correspondances structurelles entre langages platique et musical à partir de l’application de méthodes sérielles. A. Ayme m’avait présenté les Seize et une variations (1963), à la fois livre et oeuvre plastique. Dans ce cas, la variation, liée à une conception ouverte du sérialisme, devient pluralité des manières de désigner une forme unique, de déchiffrer ses potentialités en dépassant toute pensée préconçue, dans le sens du non-exclusif, par un va-et-vient toujours interrogatif de l’un au multiple : faire résonner une forme par rapport à ce qui l’entoure, à son propre écho, jouer sur ses « harmoniques »; amener une forme à se détacher d’elle-même, à se créer un devenir, tout en demeurant attachée à ce qui la spécifie en tant que phénomène irremplaçable; forme projetée hors d’elle-même dans la trajectoire temporelle de la variation, issue d’un ailleurs de soi-même (puisqu’il s’agit d’une forme trouvée) et supposant des extensions qui échappent elles aussi à la toute-puissance de celui qui l’a prise en charge; par là, déclencher un projet qui transgresse le principe de l’oeuvre individuelle pour tendre vers des ramifications innombrables, laisse des pointillés…
La question initiale qui se posait alors pour cette partition en puissance était de savoir quel pourrait être le thème de ces 16 et 1 futures variations musicales; afin de prendre un parti qui présenterait des affinités avec le propos d’A. Ayme, je pensais tout d’abord à un « objet sonore trouvé », stylistiquement neutre pour ne pas apparaître trop astreignant, un élément dont la définition serait obtenue à la suite d’opérations de hasard, ou encore un élément que j’inventerais en faisant en sorte qu’il me réserve un terrain d’intervention aussi large que possible. J’optai en définitive pour cette dernière solution et décidais de prendre comme noyau générateur de toutes les variations en puissance une série de treize sons comprenant douze intervalles différents de hauteur. Une telle série devait me permettre de jouer sur l’équilibrage des « poids » harmoniques des intervalles, des plus consonants aux plus dissonants, sur divers dosages capables de rendre leurs fonctions ambiguës, polyvalentes et de troubler ainsi toute impression d’appartenance stylistique, toute détermination historique par trop restrictive. Il me semblait également important et ce, à la lumière de nombreuses conversations avec A. Ayme, d’expérimenter de nouvelles conséquences de la démarche sérielle, susceptibles notamment de croiser la problématique des formes ouvertes.
J’avais tout d’abord procédé à une analyse de chaque variation, sur un plan strictement plastique, repartant notamment de la « forme trouvée » pour observer de quelle manière A. Ayme l’avait traitée, articulée. Cela avait donné des sortes de scénarios descriptifs. Plus tard, j’ai repris ces textes, comme s’il s’agissait de descriptions d’événements musicaux; le mot m’a donc permis de passer d’une réflexion plastique à un projet de composition musicale.
Par la suite, nous avons demandé à Michel Butor de réagir au processus de variations ainsi combinées; il proposa pour sa part un ensemble de strophes succédant à d’autres ensembles poétiques que j’avais déjà explorés musicalement (notamment dans Matériel pour un Don Juan); ce cycle de strophes devait représenter une amplification de la donnée motrice de notre projet, un réel rebondissement. Le tout devint, en 1981, un Portrait d’Albert Ayme, pour mezzo-soprano, piano, clarinette, alto, trombone, accordéon.