I, II et III pour clarinette et piano (8′)
IV, V et VI pour violon, violoncelle et piano (8′)
VII pour piano, 2 guitares, violon, alto, flûte, clarinette (12′)
VIII/IX (Pemzek) pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano
Ensemble Sillages, le Quartz, Brest, janvier 1993
Le peintre François Dilasser et moi-même avons commencé par instaurer des règles de jeu communes, susceptibles d’orienter les étapes successives de notre dialogue; comme base initiale de réflexion, j’ai pris un diptyque de Fr. Dilasser où la figure du damier semblait prépondérante. J’avais en effet constaté que cet élément intervenait assez fréquemment dans son vocabulaire plastique. Prendre comme thème pour de futures variations le damier me paraissait particulièrement stimulant, notamment en fonction de ses résonances symboliques (par rapport au pavé mosaïque), de son statut dans les jeux de société. Nous avons alors choisi de concrétiser le projet sous la forme d’une suite de variations. Le processus de variation devait permettre de donner au temps un rôle particulièrement actif, ce qui ferait que notre projet commun se transformerait peu à peu, au fil de nos réactions mutuelles, introduisant dans le jeu des éléments non prévus au départ.
Nous avons décidé de travailler sur ce thème selon trois modes de présentation qui interviendraient de manière plus ou moins conflictuelle au sein d’une même oeuvre : statique (le plus régulier), dynamique, aléatoire (le plus éclaté). Fr. Dilasser a réalisé un premier groupe de trois oeuvres sur papier qui constituait une sorte de triptyque. J’ai réagi à cette proposition visuelle par trois schémas d’organisation d’intervalles harmoniques et groupes de sons dont la disposition visuelle était étroitement liée aux structures plastiques choisies par lui. Si j’ai choisi de concevoir de tels schémas et de les associer à la figure du damier, ce n’était pas pour privilégier une propriété du son, la hauteur, mais pour disposer d’une grille relativement abstraite que je pourrais plus tard explorer compte tenu des incitations visuelles de Fr. Dilasser. La question des intervalles harmoniques est prise comme base de réflexion, mais sans que son rôle, au moment de la réalisation des partitions proprement dites, puisse être considéré comme majeur. Les décisions concernant timbres, modes d’attaque et d’intensité, durées, choix d’un mode de notation devaient en effet finir par s’imposer comme des composantes indissociables et se fondre en une détermination unique. Ces schémas n’étaient pas destinés à être lus directement par les musiciens mais devaient en quelque sorte représenter des plans « hors temps » que je me proposais d’interpréter ultérieurement selon une direction temporelle déterminée. C’est ainsi que j’ai transcrit ces trois premiers schémas en une partition pour clarinette et piano (un enregistrement de ce triptyque intervient dans le portrait de Fr. Dilasser réalisé en vidéo par Dominique Belloir). La structure en damier qui était à la base de l’architecture musicale n’est pas directement perceptible en tant qu’opposition de caractères sonores, plans contrastés, car une telle solution me serait apparue trop directive, schématique à l’écoute, mais elle demeure pour moi la condition génératrice de toutes les relations entre moments musicaux. J’ai envoyé les schémas et partitions à Fr. Dilasser qui m’a répondu par une quatrième Variation, ainsi que par une cinquième, qui devaient faire l’objet de nouvelles réactions et propositions de jeu.
Nous avions décidé que les Variations IV à VI formeraient un second triptyque. Pour ma part, j’ai décidé de changer d’instrumentation, afin de différencier les couleurs de timbre de chacun des triptyques; j’ai donc conçu ces trois nouvelles variations pour piano, violon et violoncelle. Dans tous les cas, il s’agit de petits effectifs de musique de chambre, car les oeuvres de Fr. Dilasser me paraissaient imposer, outre le recours à des formes très concises, une intimité et une économie de matériaux.
Et nous avons continué ainsi sur notre lancée, chacun réagissant tout d’abord aux contraintes et hypothèses de jeu que lui soumettait l’autre et lui répondant dans un second temps par de nouvelles propositions. Nous en sommes arrivés à ne plus savoir qui a fait évoluer l’autre, d’un cycle de variations au suivant. L’ordonance spatiale des réseaux statiques, dynamiques et aléatoires des formes en damier a notamment connu des transformations progressives, au gré de nos initiatives respectives, ce qui m’a par exemple amené à changer de mode d’écriture pour les Variations VII à IX, à adopter dans certains cas une notation plus précise des durées, à orienter la forme globale de manière plus clairement perceptible. Pour les variations couplées VIII/IX, j’ai repris les principes structurels d’une pièce pré-existante, Pemzek, ce mot signifiant « quinze », en breton, en référence aux 15 modes de la musique bretonne définis par Duhamel.
Tout au long de cette collaboration, nous n’avons jamais eu à forcer des analogies à se manifester. Les options se sont opérées sans heurt, avec des laps de temps souvent très longs entre les étapes successives de notre travail, traduisant une part de subjectivité qu’il serait vain de nier. Nous n’avons bien évidemment jamais prétendu à une quelconque systématisation des relations entre certains intervalles harmoniques et des couleurs, des modèles spatiaux et des rythmes temporels. Nous avons juste imaginé quelques règles de jeu assez générales pour faire rebondir les idées; d’une certaine manière, nous nous sommes placés chacun d’un côté du damier sans jamais renoncer à l’identité des disciplines artistiques que nous incarnions chacun, pour nous poser des questions capables de nous projeter un moment par delà nos préoccupations usuelles. Et nous sommes restés conscients du fait que de telles règles de jeu n’étaient valables qu’une seule fois, pour ce projet précis.
Simultanément à la réalisation de chaque oeuvre visuelle et sonore, nous avons tenu une sorte de journal de la « fabrication » de nos contributions respectives. Les notes de travail que nous avons échangées et que nous souhaitions intégrer à un livre-partition qui n’a pas encore trouvé d’éditeur à ce jour nous permettaient de suivre pas à pas la démarche de chacun, d’affiner les termes de notre échange.