Morty’s (96)

violon, violoncelle, flûte, clarinette, piano (env. 20′)
avec diffusion de préenregistrements par le même effectif

Au début des années 70, à Paris, l’artiste Ruth Francken croisa un jour Morton Feldman, qui lui donna, sans intention déterminée, un paquet d’une vingtaine de feuilles de brouillons de partitions, dont la plus grande partie concernait Rothko Chapel, et était datée de mai 1971. Un quart de siècle plus tard, ayant appris mon intérêt pour l’œuvre de Feldman, R. Francken m’en confia une copie, et j’eus immédiatement l’envie de reprendre à mon compte ces fragments épars de notations pour lui rendre une sorte d’hommage. Lorsque Jean-Marc Chouvel et Makis Solomos me proposèrent l’idée d’une création pour le colloque de la Sorbonne, je pensais que ce projet, encore vague, mais qui me revenait sans cesse à l’esprit, pourrait trouver là une forme de concrétisation et ce, pour plusieurs raisons; d’abord parce que l’approche de Feldman, qu’il considérait lui-même comme « entre catégories », interpénétrait volontiers les notions de temps et d’espace; ensuite parce que ces brouillons éclatés, parfois énigmatiques ou à la limite de l’illisibilité, constituaient en eux-mêmes un espace extérieur à moi, et qui s’est révélé particulièrement difficile à pénétrer; par approches successives, j’ai alors tenté de tirer de lui mon propre espace de composition, un peu à la façon d’un puzzle; certains fragments apparaissant sous plusieurs variantes, j’ai imaginé une superposition de différentes strates instrumentales, conçues pour un même effectif, une jouée en direct, d’autres diffusées en différé, entendues comme par transparence, qui donneraient l’impression d’une imbrication d’espaces plus ou moins autonomes. Il ne s’agissait bien sûr nullement pour moi de composer « à la manière de », mais d’interroger à cette occasion l’espace qui me sépare d’un des compositeurs dont je me suis toujours senti le plus proche, sans avoir jamais cherché à appliquer ses processus d’écriture.