John Cage déclarait volontiers s’être consacré à l’étude des champignons parce que ce mot (en anglais, mushroom) se situait à proximité de « music ». Pour ma part, je n’irai pas jusqu’à avancer que je me suis intéressé aux timbres parce que ce mot désigne également une propriété fondamentale du phénomène sonore. En fait, j’ai découvert dans la philatélie un art de la variation qu’il m’a semblé attirant de confronter à l’écriture musicale, d’autant que ces deux domaines ont a priori fort peu à voir l’un avec l’autre. Poser des questions relatives à des décisions compositionnelles par l’intermédiaire d’un document extérieur – en l’occurence un catalogue de timbres – revenait ainsi à m’en remettre en partie au hasard ou, peut-être plus justement, formuler les réponses les plus appropriées à un réseau de contraintes, aussi problématiques puissent-elles paraître. Le catalogue des ex-colonies françaises (Yvert et Tellier, tome 2, pays d’expression françaises et territoires d’outremer) s’est révélé particulièrement stimulant, en ce qu’il répertorie des ensembles finis d’unités – les timbres – correspondant à des territoires dont la dénomination n’a parfois duré que quelques années (par exemple, Mohéli, dans l’archipel des Comores, n’a existé qu’en 1906-1907 et ne totalise que 22 timbres).
Un des aspects qui m’intéresse le plus tient au fait que, d’un pays à un autre se retrouvent des mêmes types de timbre, mais avec d’autres valeurs, d’autres surcharges, d’autres couleurs (ainsi la série du 150ème anniversaire de la révolution – 1939 – intervient-elle, en tout ou en partie, dans 24 pays différents.). Cela m’a donné l’idée de concevoir, à longue échéance, un cycle de pièces pour divers effectifs instrumentaux (au fil des demandes qui me seront adressées), se reflétant les unes les autres à travers des éléments communs, et dont la durée dépendrait du nombre d’unités concernées. A grande échelle, une telle combinatoire m’apparaît d’autant plus excitante que le projet pourrait être à même d’engendrer de multiples formes d’association entre les pièces, à la manière d’un jeu de construction, ou mieux, d’une arborescence.
Encore faut-il déterminer une stratégie pour que les questions posées (par le biais du catalogue) sortent du plus pur arbitraire et puissent avoir des conséquences significatives sur le plan de la composition. Ce sont les termes mêmes de ces règles de jeu que je m’efforcerai de préciser ici, puisque je n’en suis encore qu’à l’ébauche du processus.
La première étape s’applique aux « émissions générales » (que l’on nomme aussi quelquefois « colonies générales »), qui comprennent des timbres parmi les plus anciens des colonies. La pièce initiale de ce cycle pourrait être considérée, pour sa plus grande partie, comme une matrice, car on y trouve