Pour Rimbaud (90)

poème de Bernard Vargaftig
flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, quatuor à cordes, contrebasse, harpe + lecteur (17′)
ensemble Erwartung, dir. Bernard Desgraupes, Auditorium des Halles, février 1991

Une manière d’hommage à Arthur Rimbaud, en réponse à une proposition de Radio France et de la Maison de la Poésie ? Je ne pouvais me résoudre à m’emparer d’un poème de Rimbaud; chacun possède une musicalité qui s’impose de façon trop déterminée. Je souhaitais plutôt capter quelque résonance rimbaldienne à travers un texte qui serait écrit à cette intention et me laisserait une brèche plus large. Je n’ai d’ailleurs travaillé que rarement à partir de textes préexistants. Faire passer un poème de l’espace du livre à celui de la scène, de la lecture intériorisée à une transmission vocale associée à une pratique instrumentale, cela reste toujours un tour de force, une opération infiniment délicate qui nécessite, à mon sens, un échange de vues, si ce n’est une collaboration, avec son auteur, si l’on veut éviter que le poème ne soit rien d’autre qu’un prétexte, plus ou moins habilement maquillé, à une prise de pouvoir du musical sur le verbal.
En revanche, le projet rimbaldien me paraissait pouvoir devenir le catalyseur d’un dialogue effectif avec un poète, en l’occurrence Bernard Vargaftig, dont j’associais intuitivement la langue à l’esprit de Rimbaud. Nous avons tout d’abord conçu une structure générale commune, où la musique serait destinée à accueillir, à plusieurs reprises, les éléments de texte, agissant comme un réceptacle relativement transparent.
Lorsque j’ai reçu les premiers jeux de strophes de Bernard Vargaftig, je n’ai pu m’empêcher de me poser des questions sur la nature des intervalles susceptibles de relier sa poésie à l’univers de Rimbaud. De par la très pure économie des moyens que pratique Vargaftig, il y avait là une foule d’allusions énigmatiques et fugaces, toujours ouvertes, qui s’accordaient bien avec mon propre travail de transformations de matériaux harmoniques debussystes. Dans les deux cas, une distance (protectrice, ludique?) était préservée, apte à favoriser des interrogations sur un monde poétique et musical dont je me sens à la fois complice et irrémédiablement éloigné. Et j’imagine qu’il pouvait sans doute en être un peu de même pour Bernard. Pas de monument à ériger (ce qui serait décidément paradoxal dans le cas d’une personnalité aussi insaisissable que Rimbaud), mais tout juste s’imprégner d’un paysage et laisser émerger quelques traces.