Messe (94/95)

5 voix solistes, choeur mixte et groupe instrumental (orgue, flûte, clarinette, alto, viole de gambe et contrebasse) (45′)
Ensemble Clément Janequin, Choeur Universitaire de Valence et groupe instrumental, dir. Daniel Pagliardini, cathédrale de Valence, juin 1995

C’est à la demande de Daniel Pagliardini et du choeur universitaire de Valence que j’ai entrepris, en 1994, la composition d’une Messe. Nous souhaitions qu’à l’effectif choral viennent s’ajouter un groupe instrumental, ainsi que plusieurs chanteurs solistes. Désirant que cette messe puisse s’inscrire dans le cadre d’un office religieux, j’ai sollicité le concours de Jean-Yves Hameline, qui m’a guidé dans le choix des différentes sections et l’organisation de l’ouvrage; il m’apparaissait en effet important de ne pas envisager les Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei comme des moments séparés mais d’élaborer une construction d’ensemble qui permette de tisser des liens entre eux et de refléter quelque chose de cette dimension rituelle globale qui émane de la messe traditionnelle et de la temporalité qui lui est inhérente.
D’une section à une autre de la messe, je me suis efforcé d’orienter différemment l’attitude des chanteurs vis-à-vis de la partition; on distinguera tout d’abord deux types principaux de séquences vocales, les unes destinées à un groupe de cinq voix masculines (du haute-contre à la basse), les autres à un ensemble choral d’une cinquantaine de participants, les deux se rassemblant à l’occasion du Gloria et de l’Epilogue; j’ai ainsi pu jouer sur plusieurs degrés de densité sonore, depuis les phrases solistes chantées par le contre-ténor pour le Psaume 18, jusqu’aux effets d’ensemble du Kyrie et de l’Agnus Dei; pour certaines sections, par exemple le Gloria, la notation soumise aux interprètes reste volontairement flexible, avec le recours à des réseaux de hauteurs ou fragments mélodiques sans durée définie, afin que les lignes vocales soient comme individualisées par chaque chanteur, l’impression d’une foule de personnages vocaux se substituant dès lors à celle d’une masse sonore unifiée. Dans le Credo, il pourrait s’agir d’une solution intermédiaire, les cinq parties chorales étant dirigées, chacune selon un tempo légèrement différent, par un participant.
En ce qui concerne le groupe instrumental, j’ai imaginé dès le départ un mélange d’instruments anciens (viole, orgue) et modernes (flûte, alto, contrebasse) qui interviennent tantôt entre les sections chantées, comme un prolongement où le texte religieux s’efface momentanément pour laisser le discours musical émerger de manière relativement autonome (ou bien sous-tendre les actions des officiants, si la messe est associée au temps de la liturgie), tantôt à l’intérieur de celles-ci, à la manière de « commentaires ».
Les textes sacrés entremêlant volontiers plusieurs couleurs linguistiques, la coexistence du latin et du français m’a paru souhaitable, notamment pour le Psaume 62 et le Notre Père.
Lorsque l’on s’engage dans un genre historiquement aussi riche et chargé de références, frayer sa propre voie demeure toujours une manière de défi; abandonnant assez vite l’idée d’une confrontation délibérée de diverses données stylistiques liées aux rapports complexes que l’histoire de la musique entretient avec celle de la messe, j’ai préféré laisser résonner dans ma mémoire quelques uns de ses chants fondateurs; ainsi se sont peu à peu imposées à moi des tendances harmoniques et mélodiques inclinant vers la modalité, la tonalité ou le chromatisme. Représentant une sorte de creuset privilégié d’influences, au fil des âges et des cultures, la messe me paraissait favoriser tout particulièrement des passages entre des mondes musicaux, que l’on pourrait juger d’emblée hétérogènes, ce qui s’est traduit par un entrecroisement d’allusions aux modes grégoriens, aux harmonies de la Renaissance, à des pratiques polyphoniques traditionnelles, comme celle de la Corse…Il ne s’agissait bien sûr nullement de prétendre à une quelconque synthèse entre plusieurs états du langage musical, mais plutôt de vivre l’écriture de la messe comme une tension essentielle entre les contraintes de la liturgie et la nécessité de les interpréter d’une façon ouverte et personnelle, qui témoigne d’une longue imprégnation tout à la fois spirituelle et culturelle.